- SIRK (D.)
- SIRK (D.)SIRK DOUGLAS (1900-1987)Né à Hambourg de parents danois, Detlef Sierck étudie le droit, la philosophie et l’histoire de l’art (sous la direction d’Erwin Panofsky) dans les universités allemandes. Il publie en 1922 une traduction des Sonnets de Shakespeare. Ses mises en scène à Hambourg, puis à Chemnitz, le placent au premier rang des créateurs du théâtre germanique. Se démarquant de l’expressionnisme en vogue, il s’illustre dans le Kammerspiele et les drames psychologiques chers à l’école d’Otto Brahm et Leopold Jessner. De 1923 à 1929, directeur artistique du Schauspielhaus de Brême, il met en scène Sophocle, Shakespeare, Strindberg, Kleist, Brecht, Pirandello... Au Altes Theater de Leipzig, il monte plusieurs spectacles «engagés», notamment Der Silbersee de Kaiser et Kurt Weill (1933), qui sont violemment attaqués par la presse nazie. Grâce au succès de La Nuit des rois à Berlin, il est alors engagé par la maison de production U.F.A., pour laquelle il tourne sept films, dont Zu netten Ufern (Paramatta, bagne de femmes ) et La Habanera , deux mélodrames exotiques avec Zarah Leander. Fin 1937, il parvient à fuir l’Allemagne et s’installe en Californie. Il doit attendre 1942 pour pouvoir entamer une seconde carrière, sous le nom de Douglas Sirk, dans le cadre de productions indépendantes. En 1950, il entre aux studios Universal où il ne réalisera pas moins de vingt et un films, jusqu’à Imitation of Life (Le Mirage de la vie , 1958).À Hollywood, cet intellectuel qui s’est épris de sa nouvelle patrie à travers les romans d’Henry James et William Faulkner se voit proposer plus fréquemment des best-sellers populaires que de grandes œuvres littéraires. Pourtant, il s’insère avec aisance dans la tradition américaine du mélodrame. Son expérience de la scène, sa profonde connaissance de Shakespeare et des tragiques grecs l’incitent à restructurer un genre dans lequel la rigueur de la psychologie et des situations fait trop souvent défaut. À un personnage témoin stable, rassurant, auquel peut s’identifier le public, il oppose une ou plusieurs figures de désaxés au comportement irrationnel: qu’ils soient consumés par des passions excessives, torturés par quelque secret obsessionnel, voués à dilapider leur énergie dans des entreprises suicidaires, ces héros sont les rois sans couronne des sociétés décadentes. Au hasard capricieux qui commande les péripéties du soap-opera , le cinéaste substitue la trajectoire irréversible d’une intrigue scellée dès l’exposition: il n’est plus dès lors de circonstances fortuites, tout accident fait partie d’un enchaînement inéluctable, toute crise résulte d’une transgression initiale dont le coupable devra tôt ou tard payer le tribut.Il est aussi l’un des rares professionnels hollywoodiens à se passionner pour les prolongements métaphysiques de ses sujets. De Summer Storm (L’Aveu , 1944) à The First Legion (La Première Légion , 1950), le jeu complexe du libre-arbitre et de la fatalité lui inspire de singuliers paradoxes. Si ses créatures sont jetées dans une action prédéterminée, elles ne sauraient être tenues pour irresponsables, elles demeurent libres de conjurer les forces des ténèbres ou de s’y abandonner dans une ivresse vertigineuse. La fascination de la mort peut même s’élever à l’amor fati comme dans Written on the Wind (Écrit sur du vent , 1956) ou Tarnished Angels (La Ronde de l’aube , 1957). L’ironie tragique de ces deux films paroxystiques — qui prophétisent la faillite du rêve américain — imprègne, à des degrés divers, des œuvres moins flamboyantes, mais tout aussi contrôlées, comme A Scandal in Paris (1945), Shockproof (Jenny, femme marquée , 1948), Magnificent Obsession (Le Secret magnifique , 1953), All that Heaven Allows (Tout ce que le Ciel permet , 1955) ou A Time to Love and a Time to Die (Le Temps d’aimer et le temps de mourir , 1957).Convaincu que l’art est incapable d’atteindre la réalité dans son essence, le cinéaste récuse le naturalisme. Il lui préfère la vérité détournée de l’artifice et de la stylisation, de la parabole ou de la métaphore. De la vie, le cinéma ne peut capter que des reflets mouvants: pour Sirk, il est trompe-l’œil, jeu d’ombres et de lumières, miroir d’un univers illusoire et promis à la destruction, imitation of life selon le titre américain de son film testamentaire.
Encyclopédie Universelle. 2012.